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Pour cerner son travail, rien ne vaut une visite à son atelier. Mais pour espérer dénicher son antre, c’est le nez collé au trottoir qu’il faut opérer. En effet, seul le bitume virant au bleu, au noir ou au jaune peut trahir l’entrée de son petit refuge sans étiquette ni sonnette, une ancienne boutique ouverte sur la rue. Là, les amas d’outils, les petits personnages en brique pilée, les papiers colorés accrochés en file indienne ou les « bricolages d’atelier », géniales figurines blanches au cœur de carotte, de poireau, de patate, qui naissent entre deux œuvres, comme ça, pour s’occuper, trahissent l’esprit espiègle du créateur.

Modeste, Renaud Goyon affirme ne pas savoir peindre, mais prolonger la tradition de « faire » qu’il tient de son père. Et depuis plus de trente ans, il ne fait que ça. Sa gestuelle emprunte à l’instinct, à la spontanéité et il n’a de cesse d’expérimenter. Après les décors de théâtre, après les « Pantasmes » originels, des corps de tissu qu’il abandonne aux passants dans la rue, puis leurs avatars en acier ou estampés, il s’essaie au bois qu’il mêle à l’enduit.

Aujourd’hui, ses nouvelles séries, éclairées de bleus et de noirs intenses, se développent sur papier. Et, à l’évocation des derniers matériaux qu’il travaille, les yeux de cet homme en apparence réservé s’illuminent. Le papier d’abord, auquel il voue une adoration depuis toujours, les pigments ensuite, avec lesquels il entretient un rapport quasi charnel, qu’il triture avec délice, plongeant dès qu’il le peut les mains dans ses boîtes de couleurs pures. Vient ensuite l’eau, élément essentiel dont il se sert comme d’un crayon pour ôter la matière et donner vie à ses signes, arrosant à l’aide d’un tuyau parfois jusqu’à trente fois son papier. L’indispensable blanc d’œuf arrive enfin, après de longues heures de séchage, pour solidifier les ingrédients de cette cuisine surréaliste parfois menée à coups de tenailles, de pinces, de cuillères, de spatules.

« Je suis dans mon atelier comme dans ma cuisine » avoue t-il. Et le chef s’amuse beaucoup, passe des heures à travailler ses transparences, à développer les rythmes et les taches jugées intéressantes, à tenter les épaisseurs, à doucher son papier jusqu’à obtenir une histoire. Généreux avec l’imaginaire de son public, il ouvre grand l’éventail des possibles : « dans mes œuvres, on peut voir pleins de personnages et de signes, on découvre les choses au fur et à mesure, on ne s’ennuie pas ». Alors, en prenant le temps d’observer, on trouvera peut être ici une référence discrète aux grands mythes, ou là l’hommage secret à un artiste admiré…

A mi-chemin entre le figuratif et l’abstraction, l’art sensible des derniers travaux de Renaud Goyon prolonge une histoire particulière dans le grand concert de l’art contemporain et touche plus que jamais à l’essentiel.




Florence Patrie



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